Madame la première Ministre,

Genève est fière d’avoir contribué à la création et l’exploitation du Léman Express, le premier RER transfrontalier franco-suisse et l’un des plus grands réseaux ferroviaires transfrontaliers régionaux d’Europe. Offre de transport innovante pour toute une région qui s’étend bien au-delà de l’agglomération du Grand-Genève, le Léman Express symbolise aussi le trait d’union entre nos deux pays et le succès d’une coopération de grande envergure qui a permis d’améliorer la mobilité et la qualité de vie des habitantes et habitants du bassin franco-valdo-genevois.

Aujourd’hui, le Léman Express a dépassé toutes les estimations de fréquentation et démontré un changement des usages de transport et mobilité des personnes frontalières. Il répond ainsi à tous ses objectifs et appelle même à un accroissement de sa cadence et de ses rames afin de répondre à la forte demande de la population concernée. Ce résultat doit être souligné et nous amener à concentrer nos efforts sur son développement.

Or depuis lors, votre gouvernement a accordé son feu vert à un projet de liaison autoroutière entre Machilly et Thonon-les-Bains (A412). Récemment, la Ville de Genève et de nombreuses associations françaises ont déposé des recours en annulation, puis une demande d’abrogation de ce projet.

En tant que Conseillère nationale siégeant au parlement fédéral à Berne, j’ai toujours vigoureusement soutenu le développement du Léman Express. Il représente aujourd’hui un engagement durable pris par nos deux pays de privilégier une mobilité performante et surtout alternative à la voiture, indispensable à la survie de notre environnement commun. J’ai également interpellé le Conseil fédéral concernant le projet de liaison autoroutière : il est d’avis que « d’une façon générale la construction d’une section autoroutière dans la région du  » Grand Genève  » irait à l’encontre des efforts de transfert du trafic motorisé individuel, surtout en trafic transfrontalier, poursuivis par les autorités locales et rendrait moins attractive l’utilisation des transports publics. » Voir ICI l’interpellation et l’entier de la réponse du Conseil fédéral.

La réalisation du projet d’autoroute A412 aux portes de Genève, au tracé parallèle à celui du Léman Express, signerait un renoncement à cet engagement et un reniement des importants efforts et moyens investis dans la mise en œuvre du réseau ferroviaire.

Cette nouvelle autoroute entraînerait en effet, comme vous ne pouvez l’ignorer, une hausse de la circulation et des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre sur tout le bassin lémanique, allant ainsi à contre-courant de toutes les mesures à mettre en œuvre pour la sauvegarde de notre environnement. L’atteinte à la biodiversité de nos régions frontalières serait extrêmement dommageable, selon les experts, tout comme l’impact irréparable qu’aurait cette autoroute sur les terres agricoles, les espaces naturels et zones humides du Chablais français. De même, nous savons aujourd’hui que pas moins de 60% de polluants plastiques retrouvés dans le Léman proviennent de la poussière de l’usure des pneus sur les routes qui l’entourent. Une eau dont dépendent plus d’un million de personnes vivant de nos deux côtés de ses rives.

Je sais combien votre gouvernement est décidé, comme le nôtre, à tenir ses promesses en faveur du climat et à diminuer le nombre d’automobiles thermiques et privilégier une transition durable vers le train et d’autres modes de transport faiblement carbonés. Je me permets ainsi de vous rendre attentive au fait que, s’agissant de l’usage de voitures individuelles, les projections dont j’ai connaissance nous indiquent aujourd’hui des chiffres à la baisse dans le Chablais et la région frontalière qui nous concerne. Si l’utilisation de la voiture dans les régions de montagne reste à l’heure actuelle difficilement inévitable, faute d’option alternative, il est démontré que le trafic routier est décroissant sur l’axe Thonon-Machilly grâce au train et que, dans la ville de Thonon, les cyclistes sont de plus en plus nombreux.

Les priorités et responsabilités qui nous incombent, les données scientifiques et les engagements que nous avons pris vis-à-vis de nos populations respectives nous obligent ainsi à porter un regard strictement défavorable sur ce projet de nouvelle autoroute. Il est de mon rôle et devoir de défendre cette position au Parlement suisse et de vous appeler instamment à reconsidérer la vôtre, en renonçant à autoriser ce projet. Je vous adresse cette demande par la présente, en mon nom propre, au nom d’habitantes et habitants de notre région et au nom d’une bataille que nous devons mener ensemble pour leur assurer un avenir.

Je vous remercie de l’attention que vous porterez à mon appel et vous prie d’agréer, Madame la première Ministre, l’expression de ma haute considération.

Delphine Klopfenstein Broggini
Conseillère nationale, membre du Parlement suisse