[CORRIERE DEL TICINO – 12 décembre 2021] « Le Centovallina est si lent… »
LE DIMANCHE – Entretien avec Delphine Klopfenstein Broggini, conseillère nationale des Vert-e-s genevois-es. Elle vit à Genève et est originaire d’Adelboden et de Losone. Delphine Klopfenstein Broggini représente toutes les facettes de la Suisse. « J’ai appris le romanche à l’université », explique la conseillère nationale verte. Une femme qui a toutes les qualités requises pour devenir la première conseillère fédérale écologiste de l’histoire. « Vous dîtes » ? – répond-elle modestement. L’important pour moi est que mon parti puisse influencer la politique du gouvernement de l’intérieur.
Lire l’article du Corriere dei Ticino dans son intégralité (en italien) ici…
Mme Klopfenstein Broggini, connaissez-vous les frères Broggini ?
Non, qui sont-ils ?
Ce sont des chanteurs de Losone, ils ont participé à l’Eurovision.
Ah, c’est ça. Non, je ne les connais pas.
D’où vient votre « Broggini » ?
Du côté de mon mari. Sa mère est anglaise, son père est de Losone. Il a émigré en Suisse romande quand il était jeune, mais il parle toujours le français avec un accent tessinois.
Vous venez au Tessin de temps en temps ?
Souvent. Mon mari a encore beaucoup de famille au Tessin. Sa famille avait une menuiserie à Losone et elle possède toujours l’hôtel de la gare à Intragna. J’aime beaucoup le Tessin.
Alors vous aimez aussi Cassis, le président du Tessin ?
Avec tout le respect que j’ai pour le Tessin, non. Je fais partie de celles et ceux qui se sont réjoui-e-s du retour d’un italophone au Conseil fédéral. Mais j’ai ensuite été très vite déçue par sa politique.
Faites-vous référence aux relations avec l’UE ?
Aussi. Nous, les Vert-e-s, étions très sceptiques quant à l’accord-cadre, mais il fallait trouver une issue. Cassis n’a pas réussi. Il a une façon de faire qui nous isole du reste de l’Europe. »
C’est la faute de Cassis ?
Non, mais en général, je n’aime pas la façon dont il mène notre politique étrangère. Je ne me sens pas du tout représentée par un Conseiller fédéral qui, en pleine campagne sur les multinationales responsables, se rend en Afrique pour défendre une multinationale qui accepte le travail des enfants.
A l’aéroport de Lugano, par contre, ils sont très heureux avec Cassis. C’est un de leurs meilleurs clients.
Je ne suis pas surprise… Je pense que ces petits aéroports régionaux devraient être fermés. Ils n’ont pas de sens. Ils ne servent qu’une petite élite de pollueuses-eurs.
Comment doit-on se rendre au Tessin ?
En train.
De Genève à Lugano, il fallait autrefois 45 minutes en avion, aujourd’hui il faut cinq heures en train.
Nous devons continuer à renforcer et à moderniser le chemin de fer. Je pense, par exemple, à la Centovallina (Ligne de chemin de fer Domodossola-Locarno), que je prends souvent. Le paysage est magnifique, mais ce train va si lentement… Il y a vraiment un potentiel d’amélioration.
Comment se rendre au travail ?
Je vais à Genève en vélo et je prends le train pour Berne. Je n’ai pas de voiture.
N’est-il pas dangereux de faire du vélo en ville ?
J’ai l’habitude de faire du vélo. Mais oui, la circulation à vélo en ville n’est pas agréable. Il y a trop de voitures. Et elles sont de de plus en plus grosses.
Seriez-vous en faveur d’une interdiction des SUV (Sport Utility Vehicle) ?
Oui, absolument. Même si nous voyons de plus en plus de modèles électriques aujourd’hui, les SUV restent un problème. Ils occupent une grande partie de l’espace public et constituent un danger pour les autres personnes usagères de la route.
Comment pourrait-on interdire les SUV ? En fixant une longueur maximale des véhicules dans la loi ?
Par exemple oui. Ou nous pourrions interdire l’importation de véhicules dépassant une certaine puissance. Je suis en faveur de réglementations strictes lorsqu’elles ont un objectif positif pour notre société.
Êtes-vous également favorable aux actions illégales en faveur de l’environnement, telles que celles d’Extinction Rebellion ?
Oui, je trouve ces actions utiles. Il est important qu’il y ait plus de voix pour l’environnement. J’ai choisi la voie institutionnelle, mais nous avons aussi besoin de la force de la rue.
Comment le blocage d’une route peut-il aider la cause environnementale ?
C’est une façon de faire entendre sa voix.
Cela n’effraie-t-il pas les modérés ?
Je ne pense pas que bloquer une rue dans le centre de Zurich pendant quelques heures soit une chose si horrible à faire. Le mouvement Extinction Rebellion n’est jamais devenu violent, et je pense que c’est ce qui est important.
Mais cela conduit à l’illégalité.
Il faut tout mettre dans la balance. Prenons le cas où les militant-e-s d’Extinction Rebellion ont pénétré dans les bâtiments de certaines entreprises genevoises qui font le commerce des matières premières. Il est vrai qu’ils n’avaient pas le droit d’y entrer. Mais ils n’ont fait de mal à personne. Contrairement à ces entreprises, dont les spéculations affament des populations entières.
Êtes-vous pour la croissance ou la décroissance ?
Pour la sobriété.
Donc pour la décroissance.
Je suis pour la croissance de la qualité de vie, ce qui, à mon avis, signifie ralentir nos rythmes de vie et réduire la consommation.
Vous, les Verts, vous êtes en pleine croissance. À Genève, vous êtes même le premier parti, avec plus de 20 % des voix.
Oui, nous avons deux membres au Conseil d’État et nous prouvons que nous savons bien travailler dans l’exécutif sans pour autant abandonner nos idéaux.
Voulez-vous dire que vous seriez également mûr pour le Conseil fédéral ?
Oui, nous aurions déjà légitimement droit à un siège au Conseil fédéral.
Pensez-vous qu’un seul Vert suffirait à changer la politique du Conseil fédéral ?
Il est certain que cela nous permettrait à la Suisse de s’engager davantage pour l’environnement. Davantage que ce qui est fait aujourd’hui.
Pourquoi les Verts sont-ils si forts dans les villes et si faibles dans les campagnes ?
Nous nous développons également dans les régions rurales. C’est un travail qui prend du temps. Dans certaines régions rurales, il existe une forte tradition UDC, qui est le parti le plus éloigné des Vert-e-s. On ne change pas les traditions du jour au lendemain.
Les agriculteurs n’aiment pas vos initiatives. Lors d’un débat sur les initiatives phytosanitaires, un agriculteur vous a accusé d’avoir « peu de respect » pour le monde agricole. C’est vrai ?
Les Vert-e-s sont proches de la terre. Non seulement de la nature mais aussi de l’agriculture durable. Nous comptons plusieurs agricultrices et agriculteurs bio dans nos rangs, dont un Conseiller national, Kilian Baumann. Mais il est vrai que nous devons renforcer les liens avec une certaine agriculture plus conventionnelle, plus traditionnelle.
Qu’est-ce qui vous différencie de ces agriculteurs ?
Le problème n’est pas les agricultrices-teurs, le problème est le lobby agricole qui les contrôle. Un lobby puissant, qui prétend défendre les petits agricultrices-teurs alors qu’en réalité il ne sert que les intérêts de l’industrie agro-alimentaire.
Les Verts et non l’UDC seront-ils un jour le parti des agriculteurs ?
Ce serait un pas en avant.