Paru dans sa version plus courte dans la Revue Horizons le 4 septembre 2025

Le FCC, c’est avant tout un tunnel circulaire de 91 kilomètres sous terre, traversant tout le Grand Genève jusqu’au Jura vaudois, passant sous les rives du lac Léman et remontant jusque dans en Haute Savoie. En somme, des dizaines d’années de travaux, des centaines de milliers de mètres cubes excavés, un chantier à ciel ouvert de plusieurs hectares, des années de camions, de poussière et de bruit, des champs agricoles isolés éventrés. Le tout pour permettre, à terme, une puissance de collision jusqu’à 100 TeV et évidemment la promesse de nouvelles découvertes sur la matière noire par exemple.

Mais à quel coût ?

Les estimations parlent de plusieurs dizaines de milliards de francs au bas mot pour sa seule construction, sans compter l’entretien ni les coûts énergétiques ultérieurs. Le futur accélérateur consommerait l’équivalent de la moitié de la consommation annuelle du canton de Genève. Une question éthique se pose donc clairement à nous : dans un monde qui doit répondre désormais à l’urgence climatique, peut-on défendre un tel projet sans se questionner ? Quel signal enverrait la Suisse en soutenant ce projet colossal, quand en plus, elle peine déjà à respecter ses propres objectifs climatiques ?

La question démocratique doit également être posée. Le Conseil fédéral a lancé une procédure de consultation sur le plan sectoriel du CERN, qui prépare l’extension foncière nécessaire au FCC – sans mention pour l’heure du projet lui-même. Le texte n’est pas soumis à référendum, une aberration dans le système politique suisse. Ce plan engage pourtant les collectivités des deux côtés de la frontière, les riverain·e·s et l’aménagement du territoire sur plus de cinquante ans. Pour un projet d’une telle ampleur, une décision sans débat public est plus que problématique. Je crois à une science ouverte et partagée, pas à une planification faite en catimini de projets colossaux, et ce sans l’approbation des populations concernées.

Enfin, il y a la question des priorités. La science, aujourd’hui, n’a pas seulement besoin de davantage de tunnels ou d’énergie. Elle a surtout besoin de moyens pour comprendre et affronter les crises actuelles de notre système (climatiques, sociales, économiques) qui nous touchent de manière directe et tangible. Cette science-là, pourtant essentielle, peine souvent à se faire entendre et à susciter l’adhésion, ce que je ne peux que déplorer. Dans ce contexte, l’extension colossale du CERN semble manquer sa cible : à l’heure où la légitimité même de la science est remise en cause de façon inquiétante, ce n’est pas d’un élargissement quantitatif dont nous avons besoin, mais d’un approfondissement qualitatif. Le progrès ne se mesure pas seulement à l’aune de la prouesse technologique, mais aussi à sa capacité à être comprise, partagée et portée collectivement.

Ma position n’est de loin pas idéologique, elle est surtout pragmatique. Elle est ancrée dans une vision exigeante de la science : celle qui ne se déconnecte pas du quotidien des gens. Celle qui accepte la controverse, les limites, mais aussi le devoir d’exemplarité. Celle qui respecte les citoyen·ne·s, la démocratie, la biodiversité de nos régions et le climat autant que la curiosité humaine.

Le projet FCC n’est de loin pas anodin. La science mérite mieux qu’un feu vert silencieux à ce projet colossal.