
La politique d’asile en Suisse à la croisée des chemins
La question de l’asile est à nouveau au cœur des débats, une approche toujours plus influencée par les courants populistes et conservateurs majoritaires au parlement suisse, qui poussent certain·e·s à négliger notre tradition suisse de respect des droits humains, en faveur de politiques d’asile précipitées. J’ai récemment abordé dans les médias les défis rencontrés par les victimes de conflits, en particulier les Ukrainien·ne·s en Suisse, ainsi que la situation des Érythréen·ne·s.
Un exemple frappant est la proposition actuelle de Petra Gössi, conseillère aux États PLR, inspirée directement du projet de loi britannique sur l’expulsion des demandeurs·euses d’asile au Rwanda, qu’elle veut appliquer en Suisse. Reproduire une telle approche ici soulèverait de multiples défis, en termes de droits humains. Il est essentiel que les problématiques rencontrées en Suisse soient résolues ici et non exportées. S’appuyer sur un autre pays pour une partie de notre politique d’asile constitue une perte de souveraineté et pourrait nous exposer à des risques en cas de changements de politique ou direction dans ce pays. Des pays qui par ailleurs ont certainement d’autres priorités et nécessités que celles de gérer nos questions d’asile. La proposition ne concerne au final que les requérant·e·s d’asile érythréen·ne·s débouté·e·s, autrement dit environ 200 personnes sur les 30’000 Érythréen·ne·s actuellement en Suisse : elle fait beaucoup de bruit, serait très coûteuse sans apporter pour autant de solution à la hauteur des enjeux.
Concernant l’intégration des Ukrainien·ne·s, le permis S est utile en situation temporaire, or la guerre dure. Il est juste de faire évoluer ce statut et de réfléchir à instaurer un permis de séjour, selon la proposition du Conseiller Beat Jans sur le modèle autrichien. Mais si celui-ci dépend du fait même d’avoir un emploi, il faudra donc s’assurer que l’accès au travail ne soit pas entravé et qu’il devienne équitable pour toutes et tous. C’est la condition sine qua non. La situation actuelle démontre par exemple que les femmes ukrainiennes sont moins insérées dans la vie active notamment parce qu’elles ont à leur charge le soin des enfants. L’accès au travail égalitaire est une pièce maîtresse dans la politique d’asile, autant pour les détenteurs de permis S (Ukraine) que de permis F (par ex. Érythrée), un statut dit « provisoire » et de fait perçu comme temporaire mais devenant de facto permanent. Une politique d’asile à plusieurs vitesses est extrêmement dommageable. On doit s’orienter vers un statut global de protection soit un permis humanitaire. Surtout quand on sait que plus de 80% des demandes d’asile en Suisse aboutissent à un statut de protection.
Ces enjeux nécessitent une approche pragmatique, évaluant efficacement ce qui fonctionne et ce qui est un échec. Les initiatives précipitées actuelles de la droite ne feront qu’aggraver les problèmes. Je plaide pour un retour aux principes de respect des droits humains qui ont longtemps guidé notre politique, celle d’un pays qui a les moyens d’être exemplaire.
Revue de presse
- RTS 19h30 – Une commission du Conseil national veut que la Suisse puisse expulser les requérants érythréens déboutés dans un pays tiers
- RTS Forum – Présenté par Anne Fournier et Mehmet Gultas – Ukrainiens intégrés en Suisse – Faut-il leur faciliter l’octroi du statut du réfugié ?
- RTS Infrarouge – Système d’asile sous pression : faut-il serrer la vis ?